Ce mois-ci l’envie nous prend de vous parler de Vincent n’a pas d’écailles, de Thomas Salvador, sorti sur nos écrans en 2015.  Un film brillant par son inventivité et sa sobriété paradoxale. Une fantaisie simple mais extraordinaire, réjouissante et délectable.

 Un film de super-héros ? oui ! Mais aux antipodes du super-héros américain…

Voilà donc le pari de Salvador : inventer un super-héros français sans en faire des tonnes, en jouant la carte de l'intime et de la poésie. A la surcharge et la surenchère du blockbuster américain, Salvador oppose une économie de moyens, du minimalisme pour une œuvre concise et épurée (78 minutes seulement !). S’il montre qu’il a retenu les leçons d’efficacité véhiculées par les scénaristes hollywoodiens - l’histoire d’amour, la défense de l’innocent, la course-poursuite avec la police…-, il prend le parti d’user de vieux trucages (tremplins, poulies) pour propulser son héros, préférant le réalisme fantastique à « l’esbroufe » des effets spéciaux numériques.

En voici l’histoire, pleine de fraîcheur et de candeur : Vincent est un solitaire, homme timide qui travaille dans le bâtiment et vit très simplement. Il a un superpouvoir assez étonnant, puisqu’il devient surpuissant au contact de l'eau. Il ne l'a jamais révélé à personne. Il rencontre Lucie (la toujours étonnante et géniale Vimala Pons), tombe amoureux et se dévoile. Cette jeune femme gaie et légère ne le considère pas comme un monstre. Lui, le doux rêveur, découvre un jour que sa force surnaturelle l'entraîne dans l'illégalité lorsqu’un événement malheureux, une bagarre inopinée, va attirer sur lui l’attention de la police et l’obliger à fuir...

Héros placide, Vincent barbote dans toutes les eaux possibles, du lac à la rivière en passant par la fontaine du village. Il ne cherche pas à sauver le monde, n'a pas de devise, juste une volonté de bien faire, d’ailleurs souvent maladroite. Certes, il lui arrive d'utiliser ses pouvoirs, mais c'est davantage pour échapper à des gendarmes lancés à sa poursuite que pour contribuer à une grande cause. Le réalisateur résume lui-même : Vincent « ne se sent investi d'aucune mission. » D'ailleurs, il doute que le terme de super-héros soit bien approprié : "Vous imaginez un super-héros uniquement opérationnel les jours de pluie ou contraint de 'patrouiller' un pack d'eau minérale à la main ?" Non, Vincent n'a du super-héros que les pouvoirs et le réalisateur a plutôt choisi de faire de lui un homme ordinaire.

Nous sommes conquis par le charme que dégage ce très joli film, contemplatif, lent, sans excès de dialogue dans une première partie où l'on découvre le héros dans le décor grandiose du Verdon, cocasse dans la 2ème partie, qui revisite avec finesse et humour le film de super-héros. Ainsi, si de prime abord notre aquaman nous rappelle l’homme de l’Atlantide de la série américaine, le film évoque surtout le cinéma burlesque muet à la Tati, Keaton, Tati ou plus récemment l’œuvre d’Abel et Gordon.

Comme ces derniers, Thomas Salvador sait tout faire : écrire un scénario, réaliser, interpréter, le tout sans prétention, avec une poésie burlesque et une grâce poétique enthousiasmantes.

D’un côté cette œuvre si décalée fait le constat déprimant que les êtres différents sont condamnés à vivre en dehors de la norme, d’un autre elle nous ouvre une perspective toute positive : quand on se mouille, on se renforce… Nous somme subjugués par cette euphorie qui gagne Vincent quand sa musculature est décuplée par les pouvoirs de l’eau et quand il nage à la vitesse d’un hors-bord. Le film baigne ainsi dans une bienveillance attachante, qui touche aux sensations éprouvées au contact de la nature et à la plénitude qui se dégage de notre tendre héros-anti-héros. La magie opère, avec une légèreté toute aquatique.